Nice Panorama
La 7ème édition du Festival International de la Photographie de Mode de Cannes rendra hommage à Guy Bourdin, photographe de mode mondialement reconnu décédé en 1991. Plusieurs de ses clichés, tirés sur des bâches rétro éclairées, permettront de (re)découvrir son œuvre.
Guy Bourdin (1928-1991), homme discret, presque secret, est pourtant paradoxalement un artiste français mythique, dont l’univers très personnel se décline dans des images souvent radicales prises pendant plus de trente ans. Incroyablement novatrices, ses photographies se jouent des genres, interrogent le statut de l’image marquant durablement bon nombre de photographes et d’artistes contemporains.
D’abord peintre et dessinateur, Guy Bourdin découvre la photographie à l’âge de 20 ans, lors de son service militaire au Sénégal en 1948. Désormais, à côté de sa peinture et de ses dessins qu’il expose dès son retour en 1950, il s’adonne à la prise de vue, et les photographies en noir et blanc qu’il prend alors révèlent un jeune homme désireux d’explorer tous les possibles du petit boitier.
En 1951, Guy Bourdin rencontre Man Ray, peintre et photographe à qui il voue une profonde admiration. En 1952, c’est introduit par un texte de son « parrain artistique » qu’il expose pour la première fois ses photographies à Paris, Galerie 29.
Entre 1954 et 1966, l’édition du magazine de mode Vogue Paris est marquée par un renouveau dans son contenu et dans sa maquette, impulsée par sa toute jeune et nouvelle rédactrice en chef Edmonde Charles Roux. Cette dernière décide alors de s’attacher les talents de nouvelles plumes ou de nouveaux photographes qui viennent renouveler l’image du magazine, parmi lesquels on compte notamment Henry Clarke, William Klein. Guy Bourdin devient dès 1954 un des photographes d’élection de Vogue Paris. Les trois décennies qui suivent sont immanquablement associées à ses audacieux clichés dont la couleur souvent saturée s’étale avec éclat au fil des pages.
Figure incontournable de la photographie de mode et de la photographie publicitaire, Guy Bourdin travaille principalement pour la presse magazine ou pour les plus grandes marques du luxe dont il réalise les campagnes publicitaires, comme le chausseur Charles Jourdan dès 1967, ou Gianfranco Ferré, Gianni Versace, Madame Grès, Revillon... Guy Bourdin décline dans ses images des univers décalés, extraordinairement éloignés des images de mode plus conventionnelles jusqu’alors publiées.
Conçues pour être imprimées, les photographies de Guy Bourdin répondent aux contingences de l’édition, comme celles du format ou de la composition, ainsi qu’aux exigences de publication et aux conditions de lecture. Guy Bourdin est un « metteur en page » en même temps qu’il est le brillant metteur en scène de ses photographies, allant jusqu’à concevoir une composition selon la pliure verticale de la double page du magazine. Les compositions soignées proposent des agencements extrêmement dynamiques, captant le regard du lecteur dans de courtes narrations très cinématographiques proposées au fil des pages, et dans lesquelles se glissent, parfois marginalisés, les produits à présenter.
La force de Guy Bourdin est là, obligeant le spectateur à pénétrer dans la scène pour en décortiquer le contenu plutôt que de s’intéresser au seul produit, et l’amenant à percevoir le produit non par sa seule présentation, mais dans sa mise en scène, au cœur de l’imagerie qu’il génère, proposant des rapprochements insolites : ainsi par exemple dans l’une des photographies réalisées pour le calendrier Pentax de 1980, un mannequin nu portant des bas noirs disparaît en partie sous un lit sur lequel se trouve une petite peluche. Dans l’une de ses publicités réalisée en 1968 pour Charles Jourdan, il met en scène une femme, collants rouges, chaussures vertes, piétinant la main d’un homme à terre qui tente de se saisir d’un pistolet devant une foule rassemblée. L’artifice de la mise en scène est rendu sensible et cette foule regarde autant la scène qui se joue que le photographe qui la saisit, que le lecteur qui la regarde retranscrite dans les pages du magazine. Cette image résume bien le travail fascinant de Guy Bourdin qui interroge à la fois la publicité et ses caractères, la photographie dans son rapport au réel et à la société, mais aussi dans sa finalité comme image reproduite et son rapport au lecteur.
La pratique de Guy Bourdin se situe bien delà des genres, son travail « traite de la vie ». Profondément ancré dans le réel, il l’interroge au travers d’une succession de courtes fictions. Les photographies sont conçues comme des « tableaux-énigmes » : les mannequins féminins y sont dispersés dans des décors où ils participent à des scénettes insolites, parfois énigmatiques voire dérangeantes, où la charge érotique est souvent très présente. Dans ses images, les corps féminins y sont malmenés, réduits souvent à une présence fragmentaire, soumis à une vision érotisée : là, les corps sont tronqués par les cadres ; là, ils disparaissent derrière un poteau, sous des journaux ou derrière des photos… Les corps dénudés, corps fétichisés, s’offrent en poses alanguies à l’objectif de Guy Bourdin.
La puissance des photographies, leur tension est aussi renforcée par l’utilisation des couleurs : principalement le rouge du sang et sa complémentaire, le vert largement utilisées par Guy Bourdin dans ses compositions. Portées à leur degré de saturation, elles participent activement à la dramatisation des scènes qui sont livrées au regard des lecteurs. Eclatante au fil des pages, Guy Bourdin utilise la couleur comme un peintre le ferait. Il accorde à ses pigments un rôle de passeur essentiel : ils renforcent les sensations éprouvées, excitent les sens, accentuent la dramatisation quasi surréaliste de certaines scènes. Pour reprendre le titre d’un ouvrage de Sigmund Freud, les superbes photographies de Guy Bourdin nous plongent dans des univers baignés d’une « inquiétante étrangeté ». Elles nous malmènent et nous bousculent avec force aujourd’hui encore. L’œuvre de Guy Bourdin reste 18 ans après sa mort, en 1991, d’une extrême modernité.
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